La promotion «gilets jaunes»: les médailles de la honte
Christophe Castaner vient de décorer, le 16 juin, un certain nombre de ses agents, parmi lesquels au moins cinq sont impliqués dans des enquêtes concernant des violences policières. Parmi eux, on retrouve Rabah Souchi, à la tête de la charge de police ayant provoqué les blessures de Geneviève Legay à Nice ou encore Bruno Félix, qui commandait les CRS auteurs des tirs ayant tué Zineb Redouane à Marseille.
Créée en 2012, la médaille de la sécurité intérieure est « destinée à récompenser les services particulièrement honorables notamment un engagement exceptionnel (...), et à récompenser des actions revêtant un éclat particulier » comme le précise le décret du 28 mars 2012. Pour l’année 2018-2019, le ministre de l’intérieur Christophe Castaner a pourtant choisi d’honorer des policiers ayant commis des violences policières (consultez ici la liste des médaillés).
Parmi les médaillés de la « promotion exceptionnelle médaille de la sécurité intérieure « gilets jaunes » », récompensés le 16 juin, figurent Grégoire Chassaing, le commissaire qui a notamment donné l’ordre d’utiliser les gaz lacrymogènes à Nantes le soir de la disparition de Steve Maia Caniço, mais aussi Rabah Souchi et sa compagne Hélène Pedoya, qui se sont distingués lors des opérations de maintien de l’ordre causant les blessures de Geneviève Legay.
La médaille de la sécurité intérieure récompense le personnel du ministère qui, comme le précise le texte officiel, intervient dans les domaines suivants : « La défense des institutions et des intérêts nationaux, le respect des lois, le maintien de la paix et de l’ordre public, la protection des personnes et des biens et la prévention, la médiation, la lutte contre l’exclusion, l’aide aux victimes. »
Cette distinction comporte trois échelons : bronze, argent et or. Un policier nous a expliqué qu’habituellement elle ne concerne que quelques centaines de personnes, les échelons or ou argent étant le plus souvent réservés aux blessés ou aux agents ayant déjà reçu une médaille de bronze.
Par exemple, ont été récompensés des gendarmes étant intervenus lors du crash de l’avion Germanwings, causant la mort de 149 passagers, dans les Alpes en mars 2015. Ou des policiers ayant secouru un Anglais agressé par des supporters russes à Marseille durant l’euro 2016.
Le ministère récompense ces actes de bravoure traditionnellement le 1er janvier et le 14 juillet. C’est donc une « promotion exceptionnelle », celle du 16 juin, officiellement nommée « gilets jaunes » qui vient d’être sélectionnée par Christophe Castaner. Mais elle ne l’est pas seulement pour le choix du calendrier.
Elle l’est dans le procédé même de sélection auquel Mediapart a pu avoir accès. Le 16 avril, un courriel de la direction des ressources humaines des CRS à destination des commandants d’unité lance un premier appel aux candidatures pour la promotion 2018-2019. Le texte est le suivant : « En prévision d’une éventuelle promotion exceptionnelle [MSI] Médaille de la sécurité intérieure « Gilets Jaunes », vous voudrez bien nous transmettre en retour 15 fonctionnaires blessés dans le cadre du mouvement des « Gilets jaunes ». Ils devront avoir fait l’objet d’un arrêt de travail en privilégiant les ITT [incapacité totale de travail]. »
Faute d’avoir suffisamment de candidats, un deuxième courriel de relance est envoyé, le jour même, élargissant les critères. Il y est noté : « Vu les nombreux retours néants, je vous sollicite de nouveau en élargissant les critères d’attribution. » Peuvent être désormais médaillés : « Des policiers méritants blessés dans le cadre des gilets jaunes », « en second lieu, des policiers blessés non méritants », et « en troisième lieu, ceux qui n’ont pas été blessés, mais qui ont réalisé une action remarquée durant cette période ».
Lors du mouvement des gilets jaunes, Christophe Castaner a souvent communiqué sur les policiers blessés, sans jamais donner trop de précisions.
Faute de « blessés » en nombre suffisant, les « non méritants » peuvent donc être promus. Dix jours plus tard, la Direction générale de la police nationale complète de nouveau le recensement, en l’ouvrant désormais à l’ensemble des officiers ayant participé aux opérations de maintien de l’ordre ainsi qu'aux majors des compagnies. Mieux, le tableau de candidature dans lequel doivent figurer les faits justifiant l’attribution de la médaille, est déjà pré-rempli par le ministère et « ne sera pas modifié ». Il est le suivant : « Gilets jaunes : engagement exceptionnel dans le cadre des gilets jaunes. » Les candidats auront d’office le bronze.
Seuls sont exclus les agents absents durant toute la période des manifestations, et ceux ayant reçu un blâme ou étant passés en conseil de discipline. Mais ne le sont pas : les auteurs de violences policières, poursuivis dans le cadre d’enquêtes administratives menées par l’IGPN ou judiciaires.
Le palmarès est terrifiant. Grégoire Chassaing, commissaire divisionnaire à Nantes, qui, le 21 juin, lors de la fête de la musique, a ordonné de gazer les jeunes rassemblés près d’une berge de la Loire, parmi lesquels Steve, porté disparu depuis ce jour.
Le capitaine Bruno Félix reçoit lui aussi les félicitations de Christophe Castaner. Pourtant, il fait partie des policiers auditionnés dans le cadre de l’enquête sur le décès de Zineb Redouane, survenu à Marseille après avoir été touchée au visage par des éclats de grenades lacrymogènes lancées dans son appartement le 1er décembre. Ce CRS commandait ce jour-là les auteurs des tirs.
Autre médaillé : le commissaire Rabah Souchi, en charge, le samedi 23 mars, à Nice, des opérations de maintien de l’ordre, ayant causé de graves blessures à la militante pacifiste Geneviève Legay. À cette charge, un capitaine de gendarmerie avait refusé de participer, la jugeant « disproportionnée » (à lire ici).
Sa compagne, Hélène Pedoya, présente aux côtés de son conjoint le jour des opérations et chargée de l’enquête sur les violences policières commises ce jour-là est elle aussi félicitée par le ministre.
Et enfin, le commandant divisionnaire Dominique Caffin reçoit une médaille. Il fait partie des CRS qui, le 1er décembre, ont matraqué plusieurs manifestants dans un Burger King, à Paris. De sources policières, il est connu pour être « particulièrement violent ». Le 8 avril, sur un plateau de BFM-TV, un commandant de gendarmerie, le colonel Michaël Di Meo avait lui-même ainsi commenté les images : « C’est de la violence policière. »
Ils ont tous les cinq reçu la médaille de bronze et font partie de l’« exceptionnelle promotion gilets jaunes » 2018-2019 qui compte près de 9 000 médaillés, majoritairement en bronze.
Normalement, il n’y a que quelques centaines de promus, nous confie un policier qui estime que cette sélection est affligeante. « Cela ressemble à la prime au résultat exceptionnel. » Quel résultat, celui de mettre en pratique des directives de plus en plus violentes en matière de maintien de l’ordre ?