Avocat célèbre reconnu coupable de fraude fiscale
C'est la troisième fois... L’un des pénalistes parisiens les plus réputés, Me Philippe Dehapiot, a été reconnu coupable, le 2 avril, de fraude fiscale par le tribunal de Paris. Ce proche de Thierry Herzog avait déjà été condamné deux fois par le passé pour des faits équivalents. La justice lui interdit désormais d’exercer.
Les avocats sont des auxiliaires de justice qui ne sont pas au-dessus des lois. Dernier exemple en date : l’un des plus célèbres pénalistes parisiens, Me Philippe Dehapiot, a été reconnu coupable, le 2 avril, de fraude fiscale par la XIe chambre du tribunal judiciaire de Paris, a appris Mediapart.
Réputé être l’un des meilleurs spécialistes de la procédure pénale, Me Dehapiot a été condamné à trois ans de prison, dont dix mois avec sursis, 200 000 euros d'amendes, le port du bracelet électronique pour la période ferme de sa peine et l’interdiction d’exercer la profession d’avocat pendant trois ans. La peine est, selon les termes du jugement, « exécutoire », ce qui signifie à effet immédiat au regard de la gravité des faits mis au jour.
« M. Dehapiot n’a jamais respecté, durant toute sa vie professionnelle d’avocat, les obligations fiscales imposées par la loi à l’ensemble des citoyens, alors même qu’il était tenu d’obligations particulières de probité. Cette interdiction [d’exercer – ndlr] est indispensable pour éviter la récidive et la poursuite d’une activité exercée dans des conditions déloyales à l’égard des autres membres de la profession », peut-on lire dans le jugement.
Avant lui, Me Thierry Herzog, dont Me Dehapiot fut l’un des avocats – les deux hommes revendiquent d’être en outre des « amis » –, a été condamné en mars dernier pour corruption et trafic d’influence dans l’affaire « Bismuth » au côté de Nicolas Sarkozy, également avocat de profession, dont, rappelons-le, l’ancien associé historique au sein du barreau, Me Arnaud Claude, a quant à lui été condamné en 2019 pour avoir organisé les montages fiscaux frauduleux des époux Balkany.
Dans l’affaire Dehapiot, pas de paradis fiscaux et de montages offshore complexes avec hommes de paille et comptes cachés : l’avocat s’est contenté de ne rien faire pendant des années, de ne rien déclarer et, donc, de ne rien payer au fisc, arguant d’une absence totale de comptabilité – papier ou numérique – au sein de son cabinet, selon le tribunal.
L’avocat, qui a aussi défendu dans sa carrière Bernard Tapie, Yvan Colonna ou le « parrain des parrains » Michel Tomi, était accusé d’avoir éludé 283 000 euros d’impôts dus au fisc, entre 2014 et 2017, que ce soit au titre de ses revenus ou de la TVA liée à son activité professionnelle.
Ses avocats ont notamment plaidé pendant le procès la « phobie administrative », expression rendue célèbre par l’ancien secrétaire d’État Thomas Thévenoud, également peu porté sur l’acquittement de l’impôt.
« Je tiens à dire que toutes les sommes dues ont désormais été réglées, ce qui est quand même rare pour quelqu’un de poursuivi et de condamné. D’ailleurs, l’avocat du fisc n’a pas demandé de dommages et intérêts », a réagi auprès de Mediapart Me Dehapiot, qui dit se réserver le droit de faire appel du jugement.
Fait notable et qui explique la sévérité du tribunal : c’est la troisième fois que Me Dehapiot est condamné pour fraude fiscale, les deux précédents jugements ayant été prononcés en 2005 et 2007. Le tribunal s’est dit « confronté à la persistance [du prévenu] dans un comportement délictueux et lucratif ». « Oui, il s’agit de négligences coupables de ma part », affirme l’avocat.
D’après l’enquête, Me Dehapiot a également été quelque peu négligent avec son agenda. Non seulement il ne s’est pas présenté à son propre procès, mais quelque temps auparavant il avait annulé le jour même un rendez-vous avec un agent vérificateur des impôts, invoquant des vacances en Corse.
Parallèlement à sa propre enquête, qui a abouti à une série de redressements, le fisc avait décidé de saisir la justice en 2019 de la situation de Me Dehapiot, la fraude fiscale étant également un délit pénal.
Sollicité pour savoir s’il envisageait de donner des suites disciplinaires à la situation de Me Dehapiot, condamné trois fois pour fraude fiscale, l’ordre des avocats de Paris n’a pas répondu.
Philippe Dehapiot avait également fait parler de lui en marge de l’affaire Sarkozy-Kadhafi. Comme l’avait révélé Mediapart, Philippe Dehapiot avait en effet mené des diligences pour le compte d’un dignitaire libyen, Abdallah Senoussi, afin de voir s’il existait un moyen procédural de faire sauter le mandat d’arrêt international qui le visait après sa condamnation pour terrorisme dans l’affaire de l’attentat contre l’avion DC-10 d’UTA.
Les interventions en faveur de Senoussi font aujourd’hui partie du champ des contreparties à la corruption franco-libyenne présumée, le dignitaire libyen en question ayant été identifié par l’enquête comme ayant versé d’importantes sommes à l’intermédiaire Ziad Takieddine dont une partie a atterri, avant la campagne présidentielle de 2007, sur le compte secret aux Bahamas d’un sarkozyste de la première heure, Thierry Gaubert.
Entendu en juillet 2018 par les policiers de l’Office anti-corruption (OCLCIFF) dans ce volet de l’affaire Sarkozy-Kadhafi, Me Dehapiot a indiqué n’avoir pas su que ses diligences concernaient Abdallah Senoussi, mais simplement un homme condamné pour terrorisme. Au nom du secret professionnel, il n’a jamais voulu dire aux enquêteurs qui lui avait demandé de plancher sur le dossier.
Photo Philippe Dehapiot, en octobre 2012, à l'occasion du procès Colonna. © KENZO TRIBOUILLARD / AFP
https://www.mediapart.fr/journal/france/080421/un-celebre-avocat-condamne-pour-fraude-fiscale-et-c-est-la-troisieme-fois