Examen pour blanchiment de 100 lingots d’or d'une maire

Après 48 heures de garde à vue, la maire LR de Puteaux Joëlle Ceccaldi-Raynaud a été mise en examen mercredi pour « blanchiment de fraude fiscale aggravée », cinq ans après les révélations de Mediapart sur le retrait de 102 lingots d’or de son compte caché au Luxembourg.

Joëlle Ceccaldi-Raynaud est enfin rattrapée par la justice dans l’affaire de ses lingots d’or. La maire Les Républicains de Puteaux (Hauts-de-Seine) a été mise en examen mercredi pour « blanchiment de fraude fiscale aggravée » commis « de façon habituelle et en bande organisée » et placée sous contrôle judiciaire, a indiqué à Mediapart une source judiciaire, confirmant une information du Parisien.

Juste avant cette mise en examen, Joëlle Ceccaldi-Raynaud avait été placée en garde à vue et interrogée pendant près de 48 heures à Nanterre par les policiers de l’OCLCIFF, l’office anticorruption et anti-fraude fiscale de la PJ.

Le moins que l’on puisse dire est que la justice a pris son temps dans ce dossier. L’affaire avait en effet été dévoilée il y a cinq ans par Mediapart. Le 17 septembre 2015, nous avions révélé que l’ancien compte caché de la maire de Puteaux au Luxembourg avait été vidé en 2008, via le retrait de 102 lingots d’or (d’une valeur de 2 millions d’euros à l’époque) et de 865 300 euros en liquide.

À la suite de nos révélations, le parquet de Nanterre avait d’abord ouvert une enquête préliminaire en mai 2016 pour « blanchiment de fraude fiscale » et « fraude fiscale ». Le 29 novembre 2019, le parquet a ensuite ouvert une information judiciaire pour « fraude fiscale aggravée » et « blanchiment de fraude fiscale aggravée », confiée à un juge d’instruction.

Les faits avaient été découverts par d’autres juges d’instruction, qui enquêtaient sur l’affaire du marché présumé truqué du chauffage du quartier d’affaires de La Défense, grâce au conflit entre Joëlle Ceccaldi-Raynaud et son père Charles (décédé en 2019), ancien maire de Puteaux.

Craignant que son papa ne dénonce son compte offshore au Luxembourg (ce qu’il a fini par faire), Joëlle Ceccaldi-Raynaud en a d’abord transféré la propriété à sa fille Émilie Franchi en 2004, puis l’a manifestement vidé en 2008. On ignore l’identité de l’individu qui s’est rendu au Luxembourg pour effectuer le retrait du cash et des lingots.

Auditionné dans le cadre de l’affaire du chauffage de La Défense, Charles Ceccaldi-Raynaud avait affirmé que ces fonds litigieux provenaient de pots-de-vin versés à sa fille par le gagnant du marché. « Je considère que c’est de l’argent qui vient de la corruption, d’où voulez-vous qu’il vienne ? », avait-il déclaré.

La maire de Puteaux a démenti. Elle a avoué devant le juge ne pas avoir déclaré ces fonds au fisc (« Je reconnais que ce n’est pas bien »), mais avait affirmé qu’ils venaient de l’héritage de sa grand-mère corse.

Joëlle Ceccaldi-Raynaud avait ajouté que le pactole avait été confié par sa grand-mère à un gestionnaire de fortune suisse nommé Georges Tillman, aujourd’hui décédé. Le problème, c’est que les autorités suisses, sollicitées par le juge d’instruction, n’ont trouvé nulle trace d’un dossier au nom de Joëlle Ceccaldi-Raynaud ou de sa grand-mère dans les bureaux de la fiduciaire de Georges Tillman.

Les lingots luxembourgeois ne sont pas le seul arrangement de Joëlle Ceccaldi-Raynaud avec le fisc. Comme l’avait révélé Mediapart, la maire LR de Puteaux a aussi sous-évalué pendant des années la valeur de sa maison pour réduire le montant de son impôt de solidarité sur la fortune.

Nous republions ci-dessous notre enquête de mars 2017 sur l’affaire des lingots.

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La justice s’empare enfin de l’affaire des lingots de la maire de Puteaux. Selon nos informations, les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) ont perquisitionné début mars les domiciles de Joëlle Ceccaldi-Raynaud et de sa fille Émilie Franchi. Les enquêteurs cherchaient les 102 lingots d’or et les 865 000 euros de cash retirés fin 2008 du compte secret au Luxembourg de la maire de Puteaux, qu’elle a transmis à sa fille Émilie. Mais les enquêteurs n’ont pas trouvé trace de ce butin d’une valeur totale de 2,86 millions d’euros, dont Mediapart avait dévoilé le rocambolesque escamotage en septembre 2015.

Les policiers agissaient dans le cadre d’une enquête préliminaire lancée huit mois après nos révélations. Le parquet de Nanterre a d’abord ouvert en mai 2016 une procédure contre X pour « blanchiment de fraude fiscale ». L’enquête a été élargie à des faits de « fraude fiscale » en janvier dernier, à la suite d’une plainte de la commission des infractions fiscales (CIF) de Bercy visant Émilie Franchi, qui était la titulaire du compte offshore lorsque les billets et les 102 kilos d’or ont été retirés par un mystérieux individu au guichet de banque Edmond de Rothschild Luxembourg. 

Une mauvaise nouvelle pour la « reine maire » et ancienne députée Les Républicains de Puteaux, qui a succédé à son père Charles en 2004 et qui engrange des scores électoraux soviétiques grâce à son clientélisme effréné. Ancienne très proche de Nicolas Sarkozy, qui l’a lâchée après l’affaire des lingots, Joëlle Ceccaldi-Raynaud s'est récemment ralliée à François Fillon, qu’elle a parrainé pour la présidentielle. Ce soutien n’embarrasse pas le moins du monde le candidat de la droite, lui-même pris dans la tourmente des affaires. Joëlle Ceccaldi-Raynaud s’est d’ailleurs affichée aux premiers rangs lors du meeting de Fillon à Courbevoie le 21 mars, avec son sulfureux voisin des Hauts-de-Seine Patrick Balkany. « On ne pouvait pas faire pire comme image… », pestait un élu LR du département placé un peu plus loin.

À ce stade, Joëlle Ceccaldi et sa fille n’ont pas encore été auditionnées par les policiers chargés de l’enquête pour fraude fiscale. Mais une grande partie du travail a déjà été faite dans le cadre de l’information judiciaire pour corruption sur le marché du chauffage du quartier d’affaires de La Défense, instruite à Nanterre par le juge Jean-Michel Bergès (lire notre enquête ici).

Tout est parti de la haine de Charles Ceccaldi-Raynaud envers Joëlle, après qu’elle a refusé de lui rendre son fauteuil de maire en 2005. Mis en examen et soupçonné d’avoir touché 750 000 euros de pots-de-vin liés au marché du chauffage de La Défense, le patriarche a répliqué en accusant sa fille d’avoir reçu l’argent, dénonçant dans la foulée l’existence de son compte offshore. C’est ainsi que la justice a pu établir que Joëlle Ceccaldi-Raynaud avait planqué pendant quatorze ans jusqu’à 3,8 millions d’euros sur des comptes non déclarés, d’abord en Suisse, puis à partir de 1996 au Luxembourg.

Un document devrait particulièrement intéresser les policiers qui enquêtent sur la fraude fiscale. Il s’agit de la confrontation entre Charles et Joëlle Ceccaldi-Raynaud dans le bureau du juge Bergès, le 18 novembre 2015. Le compte-rendu, auquel Mediapart a eu accès, est particulièrement savoureux. « Dans les affaires, il arrive qu’on rencontre de la corruption », philosophe par exemple le patriarche, aujourd’hui âgé de 91 ans. « Nous sommes dans les grosses sommes », ajoute Charles Ceccaldi-Raynaud au fil de la confrontation.

Il se montre en tout cas fort peu charitable au sujet du magot dissimulé au fisc par sa fille. S’il l’avait touché, « je l’aurais rapatrié et j’aurais payé l’impôt », tacle-t-il. « Comment s’appellent les faits auxquels vous vous livrez, là ? », enchaîne le juge Bergès à l’attention de Joëlle. « Je reconnais que ce n’est pas bien », répond la maire de Puteaux. Si elle évite soigneusement de dire qu’il s’agit de fraude fiscale, l’édile affiche sa contrition : « Je vis dans un climat compliqué avec mon père. Je suis complètement cernée de tous les côtés, ne sachant pas comment agir, je fais d’ailleurs des erreurs. J’ai fait surtout l’erreur de ne pas avoir rapatrié cet argent en France. »

Joëlle Ceccaldi assure qu’elle a contacté en 2002 un conseiller fiscal pour étudier le rapatriement. « [Il] m’explique que c’est compliqué quand même et nous arrivons à la veille des élections municipales de 2004, nous sommes en bisbille avec mon père, qui écrit un peu partout que j’ai des fonds au Luxembourg, donc c’est vrai que ça empêche la régularisation car je suis un petit peu bloquée et je mets tout en stand-by. » 

Joëlle Ceccaldi semble surtout effrayée par l’enquête sur les pots-de-vin présumés du chauffage de La Défense. En 2004, cinq jours après la première perquisition dans ce dossier, elle déplace en catastrophe le magot sur un nouveau compte luxembourgeois, dont elle transfère la propriété à ses enfants, Vincent et Émilie Franchi. « Oui, je prends cette décision de donner à mes enfants ce qui est sur ce compte. J’ai imaginé que comme cela on ne verrait plus mon nom, mais c’était une erreur due à un moment de panique », a-t-elle confessé au juge.

Bref, ses enfants lui ont très probablement servi de prête-nom. Vincent Franchi, qui est aujourd’hui l’adjoint de sa maman de maire, a d’ailleurs renoncé à sa part quatre ans plus tard, juste avant sa première élection au conseil municipal. Laissant du même coup sa sœur Émilie seule en première ligne.

Joëlle Ceccaldi-Raynaud assure avoir effectué ce transfert en 2004 parce que son père commençait à parler de son compte caché. Sauf que Charles Ceccaldi-Raynaud n’a effectué sa dénonciation à la justice qu’en 2008. Coïncidence : c’est pile à ce moment-là qu’un mystérieux individu a retiré le reliquat du magot en lingots et en liquide. « Comment s’explique cette brutale accélération dans les retraits […] au moment même où votre père fait ces révélations ? », lui demande le juge. L’édile de Puteaux « ne l’explique pas », mais elle est persuadée que son père avait un informateur à la banque Rothschild Luxembourg. Du coup, « ma fille a eu raison de retirer son argent en lingots ! », lâche-t-elle au juge.

À en croire Joëlle Ceccaldi-Raynaud, Émilie Franchi voulait « rapatrier l’argent au plus tôt en France ». Mais elle aurait découvert que les fonds étaient mal gérés. Du coup, « pour que la banque Rothschild ne sache pas où elle va mettre son argent dans une autre banque, elle ouvre un compte dans cette banque-là au Luxembourg. […] En fait ces lingots sont sortis d’une banque pour aller dans une autre banque. À la suite de ça, les fonds sont rentrés en France, ils sont déclarés, il y a eu des arriérés qui ont été payés et il ne reste plus rien ».

Sauf que ce rapatriement a posé problème à Bercy. Comme l’avait révélé Mediapart, le fisc a diligenté un contrôle visant Émilie Franchi en 2014 (soit six ans après le retrait des lingots…), qui vient de se traduire par une plainte au pénal. « Je sais qu’elle a le fisc à ses basques et que tout est bloqué », a admis Joëlle Ceccaldi-Raynaud, affirmant que « cet argent aujourd’hui il est confisqué ».

Le juge Bergès a également tenté de percer le mystère de l’origine des fonds. Joëlle Ceccaldi assure qu’il s’agit de l’héritage secret que lui a transmis sa grand-mère paternelle, institutrice en Corse. « En 1975, je me marie en Corse avec un Corse et c’est à ce moment-là que ma grand-mère m’annonce qu’elle a un trust » en Suisse. Il y aurait à l’intérieur 25 millions de francs (3,8 millions d’euros). La grand-mère Ceccaldi aurait reçu l’argent de son beau-père, qui fut « ministre plénipotentiaire » de la République à la fin du XIXe siècle. Joëlle Ceccaldi-Raynaud ajoute que le pactole était confié à un gestionnaire de fortune genevois nommé Georges Tillman, que sa mère lui aurait présenté en 1993 lors d’un voyage sur place. « Mon épouse elle n’a pas bougé de la maison. Elle ne s’est jamais rendue en Suisse avec ma fille », proteste Charles Ceccaldi-Raynaud.

Source (suite de l'article sur le site) : https://www.mediapart.fr/journal/france/021220/lingots-d-or-la-maire-de-puteaux-mise-en-examen-pour-blanchiment-de-fraude-fiscale


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