Affaire «Bismuth»: Sarkozy condamné pour corruption
L’ex-président de la République a été condamné, lundi 1er mars, à trois ans de prison dont un ferme pour corruption et trafic d’influence dans l’affaire dite « Paul Bismuth ». C’est la première fois qu’un ancien chef d’État est condamné pour des faits aussi graves.
Au terme de trois mois de délibéré, la 32e chambre correctionnelle de Paris a, lundi 1er mars, condamné Nicolas Sarkozy à une peine de trois ans de prison dont un an ferme pour corruption active et trafic d’influence dans l’affaire dite « Paul Bismuth ». C’est la première fois dans l’histoire judiciaire française qu’un ancien président de la République est condamné pour des faits aussi graves, passibles de dix ans de prison.
L’avocat de l’ancien chef de l’État, Thierry Herzog, également poursuivi, et le magistrat Gilbert Azibert écopent eux aussi d’une peine de trois ans de prison dont deux avec sursis, soit un an ferme. La partie ferme doit être purgée à domicile sous surveillance électronique, stipule le jugement. Me Herzog est en outre condamné à une peine complémentaire de cinq ans d’interdiction d’exercer.
Les trois condamnés ont annoncé leur intention de faire appel du jugement.
L’ancien président de la République est donc reconnu coupable d’avoir, en 2014, utilisé son avocat et ami, Thierry Herzog, et un haut magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, afin d’obtenir illégalement des informations sur des enquêtes judiciaires en cours, et d’avoir, en contrepartie, appuyé la candidature du même Azibert pour un poste sous le soleil de Monaco.
À l’époque, Gilbert Azibert les informe, d’une part, de l’évolution de la procédure Bettencourt, dans laquelle Nicolas Sarkozy avait obtenu un non-lieu et réclamait – par un pourvoi en cassation – la restitution de ses agendas en invoquant l’immunité présidentielle. Mais le magistrat leur apprend aussi l’existence du vif intérêt de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) envers l’exploitation du contenu de ces précieux agendas dans la procédure visant Christine Lagarde dans l’affaire de l’arbitrage Tapie.
« La preuve du pacte de corruption ressort d’un faisceau d'indices graves, précis et concordants résultant des liens très étroits d’amitié noués entre les protagonistes, des relations d’affaires renforçant ces liens, M. Thierry Herzog étant l’avocat de M. Nicolas Sarkozy, des intérêts communs tendant vers un même but, celui d’obtenir une décision favorable aux intérêts de M. Nicolas Sarkozy, et des écoutes téléphoniques démontrant les actes accomplis et la contrepartie proposée », lit la présidente du tribunal, Christine Mée.
« Il est établi que des informations privilégiées et confidentielles ont été transmises de manière occulte en violation des droits des autres parties et de la déontologie des magistrats et que cette transmission a été facilitée par les fonctions de premier avocat général à la Cour de cassation de M. Gilbert Azibert, lequel avait parfaitement conscience de manquer à son devoir de probité. M. Thierry Herzog et M. Nicolas Sarkozy avaient conscience de l’illicéité des actes accomplis par M. Gilbert Azibert et du caractère confidentiel des informations réceptionnées », juge le tribunal correctionnel.
« Les délits dont les prévenus ont été déclarés coupables ont porté gravement atteinte à la confiance publique en instillant dans l’opinion publique l’idée selon laquelle les procédures devant la Cour de cassation ne procèdent pas toujours d’un débat contradictoire devant des magistrats indépendants mais peuvent faire l’objet d’arrangements occultes destinés à satisfaire des intérêts privés », assène le tribunal.
« Un tel comportement ne peut que nuire gravement à la légitime confiance que chaque citoyen est en droit d’accorder à la justice. Ce dévoiement portant lourdement atteinte à l’État de droit et à la sécurité juridique exige une réponse pénale ferme sanctionnant de manière adaptée cette atteinte à la confiance publique. »
« Les faits dont s’est rendu coupable M. Nicolas Sarkozy sont d’une particulière gravité ayant été commis par un ancien président de la République qui a été le garant de l’indépendance de la justice », relève le jugement.
« Il s’est servi de son statut d’ancien président de la République et des relations politiques et diplomatiques qu’il a tissées alors qu’il était en exercice pour gratifier un magistrat ayant servi son intérêt personnel. Au surplus, M. Nicolas Sarkozy a la qualité d’avocat et était donc parfaitement informé des obligations déontologiques de cette profession. »
« La gravité des infractions commises ayant lourdement porté atteinte à la confiance publique et la personnalité de leur auteur rendent le prononcé d’une peine ferme indispensable et toute autre sanction pénale manifestement inadéquate. »
Le 8 décembre dernier, le Parquet national financier (PNF) avait requis une peine de quatre ans de prison dont deux ferme contre l’ex-chef de l’État Nicolas Sarkozy et l’ancien haut magistrat Gilbert Azibert, et la même peine assortie d’une interdiction d’exercer pendant cinq ans contre l’avocat Thierry Herzog.
Les représentants du PNF avaient insisté sur le caractère accablant des écoutes téléphoniques, qui attestent une immixtion dans le cours de la justice et un « entrisme » à la Cour de cassation. « Une justice qui ne passe pas est source de maux qui ne s’effacent pas », avait averti le procureur Jean-Luc Blachon, en ajoutant ceci : « On ne peut pas admettre qu’un ancien président oublie la République. »
Les avocats de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert, avaient plaidé la relaxe, dénonçant un dossier « vide », qui reposerait uniquement sur des « postulats » et serait en outre fondé sur des écoutes illégales. L’ancien chef de l’État s’était pour sa part présenté en victime d’un procès politique, et s’en était pris aux « mensonges » de l’accusation.
Le prédécesseur de Nicolas Sarkozy à l’Élysée avait été sanctionné par la justice, mais pour des faits moins graves pénalement. Le 15 décembre 2011, Jacques Chirac avait été condamné à deux ans de prison avec sursis dans l’affaire dite des emplois fictifs de la mairie de Paris. À 79 ans, l’ancien président de la République était reconnu coupable d’abus de confiance, de détournements de fonds publics et de prise illégale d’intérêts, pour avoir fait supporter par les contribuables parisiens les salaires de plusieurs chargés de mission qui travaillaient soit au siège du RPR, soit pour le candidat gaulliste à l’élection présidentielle.